Une anecdote sur St-Agrève en 1951                               

 

Le chemin recouvert d'aiguilles de pins et bordé d'herbes folles, s'enfonçaient dans la forêt. Le car Dumaine nous avait laissés sur le chemin goudronné. Par rapport à La Louvesc ,où nous étions devant la porte, cela faisait un sacré changement.

Quelle était lourde à mes douze ans cette valise en carton, consolidée par des cordes. Mais nous étions plusieurs dans ce cas et donc sans nous plaindre et même en plaisantant pour nous encourager, nous voilà en route vers l'inconnu.
La pente, la croix, la cascade, et enfin la cour. Toute encombrée encore d'établis, d'outils, de matériaux.
Il s'en était fallu de peu que la 1er colo ne puisse prendre ses quartiers de juillet dans le local que le Père Antoine venait d'acheter en cet été de 1951.

Bien sûr on ne sait pas tout cela ni le reste. On constate seulement. Le cadre est plus beau, plus ouvert qu'à La Louvesc. Il clame la liberté alors que dans le local des frères on se sentait plutôt enfermé. Encore que pour moi, c'était le paradis puisque nous étions à la montagne avec des bois, des près à portée de nos petites jambes de rats des villes.(En 46 à 7ans je pesais 20kg pour 1m14!).
La batisse est immense, même si le désordre du chantier en cache une partie. C'est le moment d'en prendre possession. C'est aussi le moment entre chien et loup où le cafard vous prend à la gorge pour le 1er soir hors de son chez-soi. Partis le matin à 7h du plateau Belle vue nous sommes arrivés à plus de 6 heures à St-Agrève. Dame! pas encore d'autoroute: traverser Salon, Avignon,Montélimar, Valence ça prend du temps.

Ce petit coup de blues est vite surmonté: c'est ma 6e année de colonie...déjà!
110 enfants, les deux dortoirs pleins à craquer au propre comme au figuré, car de temps en temps, une latte du plancher casse et le pied du lit passe au travers : normes de sécurité et principe de précaution où êtes-vous? Pas besoin d'eux, la Bonne Etoile suffit.

Cette Bonne Etoile, le brave Père Antoine va encore la solliciter au cours du séjour.

Voilà qu'un matin on apprend qu'une grande excursion est prévue: les plus jeunes iront en car, les plus grands à pieds. Il s'agit de faire un pèlerinage à La Louvesc sanctuaire de
St François Régis .30 km d'une traite. On dormira à l'Abri du Pèlerin. Le but, on le saura plus tard , intercéder auprès du saint, pour que se réalise la vente d'un local acquis par le Père Antoine avant qu'il ne découvre celui de St-Agrève.

Car pour payer St-Agrève ,(7.5 millions à cette époque) il faut vendre le local qui venait juste d'être acheté à Embrun. Eh oui, le Père Antoine avait un côté "businessman" , il jonglait avec les millions, et n'avait peur de rien, même si parfois il devait avoir quelques angoisses qui lui tenaillaient les entrailles. Ce devait être le cas ces jours ci pour demander à tous de prier St Régis de lui venir en aide. Mais ça , on ne le savait pas non plus.

Dures journées que ces deux journées, dont je ne garde que peu de souvenirs. Tout cela me passait très au dessus à l'époque. Et je n'y ai trouvé alors que l'ennui d'être privé de guerre au sifflet dans le bois Montgros.

Ce que j'ai su par la suite, c'est que de retour à la colo le lendemain soir, une nouvelle attendait le bon Père Antoine: le local d'Embrun avait trouvé un acquéreur. Grâce à quoi, vous, "les jeunes anciens" qui me lisez, vous avez pu et pouvez encore ,profiter de la beauté du site et communier avec l'âme qui habite cette maison, notre maison.

Action de Saint François Régis? Coup de Chance? Effet du Hasard? Qui peut le dire ?


Croit celui qui peut croire
Moi j'ai besoin d'espoir
Sinon je ne suis rien
Ou bien si peu de chose....

 

Jean Santelli

 



                                   
                                 

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