Une aventure pour un enfant de 7 ans en 1946

    En cette belle fin de journée d'août 1946, je marche derrière mon père qui monte les escaliers de la rue Gautier en direction de l'avenue Belle-vue. Il porte sur son épaule une valise en carton marron. Je l'aime bien cette valise. Elle porte , calligraphiés par ma mère, mon nom et mon adresse. C'est "Ma valise" pour le départ en colo demain matin.
Cette image de mon père est une de celles que j'ai revues au jour de sa mort. Et je sais pourquoi maintenant. Le poids de cette valise, ce n'était pas tant le poids de mes affaires, mais c'était le poids de tous les efforts consentis par mes parents pour me permettre de vivre l'aventure de la colo à La Louvesc., la 2e colo comme on disait pour désigner la session d'août. Ce séjour coûtait près d'un mois de son salaire d' employé de mairie. A cela s'ajoutait l'apport en nature de café, huile et savon. Et oui! la France sortait de la guerre et les super marchés n'existaient pas encore. Le père Antoine devait se débrouillait comme il pouvait.
Mais , bon , à l'époque j'ai 7 ans et demi. Ces problèmes me dépassent . Je sais seulement que je vais quitter mes parents pour la première fois. Je sais aussi que je vais vivre avec un groupe d'enfants comme moi pendant un mois. Je pressens aussi que cela va être une drôle d'aventure.

Le lendemain matin à 7h je me trouve dans la chapelle de l'oeuvre pour la prière avant le départ.
A
u nom du Père et du fils et du St Esprit
Seigneur mon âme t'adore
Pour la clarté de l'aurore
Beni soit Dieu créateur du soleil qui luit...
J'entends encore ce chant synonyme pour moi de départ pour l'aventure. Moi , fils unique, capricieux (un peu), gâté (beaucoup), me voici membre d'une famille très nombreuse:plus de soixante enfants de 7 à 15 ans sans parler des aînés de tous âges.
Et c'est l'embarquement . Ah quelle histoire! Deux gros camions de couleurs vertes sont là. Oui ,des camions de l'entreprise Ramaciotti.. Sur les plateaux arrière on a rangé des bancs. Deux rangées latérales le longs des ridelles, deux rangées centrales. Entre ces rangées, s'entassent les valises , la nourriture, les ustensiles divers:(je revois encore le gros basson de François Génovèse.) . Mais personne ne fait le difficile. C'est dans la joie, les plaisanteries, et un peu de pagaille que nous prenons place . Nos parents sont un peu tristes de voir partir leur progéniture, mais aucune inquiétude ne leur vient devant ce mode de transport. Trop heureux à la pensée que leur enfant va respirer le bon air, en bonne compagnie.
Voilà, les camions se mettent en branle. Lentement, lourdement, ils tournent péniblement rue Sylvestre (Francois Barbini). Derrière les ridelles , les anciens chantent les chants de la colo: Là-bas au bord de la méditerranée, C'est nous les gars saint maurontais, qui de MArseille à La Louvesc....
Bd Plombières, Rue de Lyon, La Viste...Pas encore d'autoroute à cette époque. Et nous voilà partis pour une journée de route. Le vent nous fouette le visage. Penché à la ridelle, je regarde avec étonnement les premières étendues d'herbe verte, moi le petit citadin. Je n'en avais jamais vu autant jusqu'alors.
Les "grands" annoncent les passages particuliers ou les villes traversées: le col de l'assassin (les Pennes) , Salon, Avignon, Montélimar, (ah ces nougats!) Valence, Tournon et enfin... enfin... vers 5 heures du soir l'arrivée à La Louvesc. Emile Pecchioli nous accueille avec sa gentillesse coutûmière. L'aventure peut commencer.
Je ne savais pas encore que j'allais tomber en amour (comme disent les québécois) pour ce pays du Vivarais et que, devenu Directeur d'école, je mènerais pendant 23 ans mes élèves en classe verte dans ce pays merveilleux
Jusqu'en 1950 les camions Ramaciotti mèneront les enfants de Saint Mauront vivre un mois de bonheur en Ardèche. Avec des moments épiques ,comme en 1947,où la pluie s'étant mise à tomber , nous nous étions tous abrités sous des couvertures vite saturées d'eau et dégoulinantes. Mais personne n'a été malade pour autant.
Ou encore en 1949, lorsque les camions pour une raison que seul le Père Antoine devait connaitre firent un"détour " par St-Agrève: 30 km de virages en plus. Deux personnes seulement ne vomirent pas : mon père, monté je ne sais trop pourquoi avec le camion et le Père Boeuf. Les autres ...passons ça. On en rit maintenant .
Et puis en 1950 , les cars Dumaine ont pris la relève. La guerre était loin, la civilisation reprenait ses droits.
Mais , enfant, j'ai toujours regretté ces bon vieux camions où l'on voyageait à l'air libre.
Je conterai une autre fois la suite de ces séjours en colo. Mais avant je veux saluer ici les aînés de cette époque et les adultes qui se sont occupés de nous.

Je salue donc Me Coello, Me André, Emile Pechioli, René Solinas, René Moratoglou, François Génovèse, Jo André, Monique la jolie infirmière, et bien sûr le Père Antoine.J'allais oublier mon cher Auguste Vigna à qui je dois toute ma carrière de Directeur d'école au Bd Dahdah. Salut Gus, je pense à toi.

Ma vie n'aurait pas été ce qu'elle a été si je ne vous avais pas connus.

Jean Santelli