La
guerre au sifflet
Elle se déclinait en trois
modèles.
La guerre classique si j'ose dire , dans les bois de La Louvesc
ou de St-Agrève.L'attaque de la colo , là encore
, à La Louvesc aussi bien qu'à St-Agrève
Et puis le nec plus ultra : l'attaque du village . L'un comme
l'autre nous a vu vivre ces moments assez extraordinaires .
Le plus souvent, bien sûr, le jeu dans les bois prévalait
. Source sans fin de contestations : tu ne m'as pas vu, tu m'as
sifflé à la voix, tu m'as sifflé aux habits
...
Au fait c'est quoi ce " tu m'as sifflé " ? Vous
l'aurez compris , le coup de sifflet était l'équivalent
d'un coup de feu. Le joueur sifflé était donc "
mort " pour cette partie . Or il ne devait être sifflé
que s'il était " bien vu " et là commençait
la discussion : siffler aux habits, (on pouvait échanger
les vêtements), à la voix, fallait-il voir la figure
? Si oui alors on avançait avec des fougères devant
son visage . Ou bien fallait-il identifier le numéro porté
sur une visière ? Là encore la mauvaise foi se
développait : le front collé au tronc d'arbre ,
le joueur se contorsionnait pour apercevoir l'adversaire sans
laisser voir son numéro !
Mais toutes ces contestations n'enlevaient en rien le plaisir
de ce jeu. Car la partie commençait par des marches et
des ruses de sioux (ou de cheyennes, ou de comanches, comme on
voudra ) au milieu des bois .
Ces mêmes bois qui résonnaient peu de temps auparavant
de mille hurlements , étaient brusquement envahis par
un silence presque angoissant . Les joueurs , l'oreille tendue,
essayaient de percevoir le moindre bruissement de feuillage,
de branches qui craquent, ou de feuilles mortes froissées.
C'était l'attente du fauve à l'affût.
Que de beaux souvenirs que ces épisodes de " guerres
au sifflet " bien pacifiques.
Un fanion était le symbole de toute une équipe
:bleu, vert, rouge ou jaune . les couleurs des compagnies . vert
les chasseurs, rouge :les corsaires, Bleu les marins et jaune
les chevaliers .
Avec le père Frescura les couleurs étaient les
mêmes mais les noms venaient davantage de l'esprit scout
:Loup (rouge) ,Chamois (vert) Cerfs (jaune ) et Renards (bleu)
Lorsqu'un fanion était vu et sifflé par le chef
d'équipe adverse ,toute l'équipe était éliminée
.
Je me souviens d'un exploit réalisé par je ne sais
plus qui, qui avait réussi à surprendre l'équipe
adverse en la prenant à revers, à tirer et à
arracher le fanion au chef d'équipe allongé, qui
guettait l'ennemi et à le dresser haut pour que son chef
d'équipe à lui puisse le siffler ,éliminant
ainsi toute une équipe .
L'admirable dans tout ça c'est que personne n'aurait eu
l'idée de siffler la couleur d'un fanion sans la voir
alors que la seule vue des équipiers la désignait
forcément.
On pourrait ajouter à ces " pacifiques massacres
" le cas spécial du jeu du sorcier . Au début
de la partie, les équipes sont toutes alliées pour
éliminer le sorcier bien caché qui siffle tous
ceux qu'il voit .
Pour éliminer le sorcier ,il faut soit l'apercevoir et
le nommer, c'est le rôle du chef d'équipe armé
de son sifflet et de son fanion, ou bien le toucher ce qui peut
être fait par tout un chacun.
A ce stade de mon récit, une fois encore je reste admiratif
devant la somme d'honnêteté qu'il fallait pour ne
siffler qu'en ayant vraiment vu la personne .
Mais au moment de la mort du sorcier, chaque équipe se
bat pour soi et les 4 équipes deviennent ennemies.
Je ne vous raconte pas la cascade de coups de sifflets, de cris
de dépit, de rage, au moment où la mort du sorcier
est annoncée . Il n'y a qu'en le vivant qu'on pourrait
l'apprécier .
Au total, l'honnêteté prévalait, et de loin,
sur la mauvaise foi .
Deux autres variantes de la guerre au sifflet étaient
appréciées. L'une se nommait " l'attaque de
la colo " ,l'autre, " l'attaque du village ".
Comment pouvoir raconter des évènements vécus
sur une autre planète ? J'en appelle à l'enfant
qui est resté quelque part en moi . S'il te plait , aide
moi . C'était quoi ces deux jeux . Quels mots trouver
pour les décrire ?
Et l'enfant m' a répondu. Deux petits mots seulement (il
est si loin l'enfant) : Espace et liberté !
Alors je revois le parcours des joueurs s'approchant de la colo
sur les deux rives de l'Eyrieux, crapahutant au travers des épicéas
débonnaires de la rive gauche, ou rampant au milieu des
fougères de la rive droite . Traversant la cascade interdite
en essayant de surprendre les défenseurs retranchés
d'un côté ou de l'autre .
Les attaquants venant du bois Montgros, leur progression demandait
du temps . les défenseurs finissaient par se lasser et
relâchaient leur attention , d'où la surprise. Puis
venait la stratégie :attaque de diversion d'un côté.
Bref on était libre de se déplacer dans un espace
que les pauvres règlementations actuelles ne peuvent même
pas envisager ! Et pourtant il suffirait de donner la liberté
car il existe toujours de grands espaces .
Par contre , les " attaques du village " ne seraient
plus possibles de nos jours . Les véhicules à moteur
qu'ils soient à deux ou à quatre roues ont envahi
les rues ,les places, et les cours.
Pourtant en ces temps là (je parle des années d'après
guerre jusqu'aux années 50) se faufiler de ruelle en ruelle
, avec la peur de voir surgir l'équipe adverse ou au contraire
l'espoir de leur tomber dessus par surprise ...quelle aventure
. J'en jubile encore plus de 60 ans après .
Le but là aussi était de "tanquer" le
fanion dans le camp adverse:le monument aux morts à La
Louvesc, la place de l'église à St(Agrève
.
Oui ....Espace et liberté . honnêteté et
respect... bonheurs simples au naturel et dans la nature .
C'était hier . On jouait à la guerre mais ce n'était
qu'un jeu .
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