Ma première colo à La Louvesc
(Août 1946)

Nous connaissons un village
Tout là-haut perché sur les grands monts
Nous aimons évoquer son image
Quand nous sommes à St-Mauront...
Dans ce joli coin de France
Où réside le bonheur des cieux
Notre âme y retrouve sa vaillance
Nous vivons des jours heureux...

Ainsi chantions nous en ces temps là en pensant à la colo de La Louvesc. Ce soir, j'ai envie de retrouver, ne serait-ce que pour moi, le temps de cette aventure ,car cela en était une . J'aimerais aussi faire partager à ceux qui liront cette petite évocation le bien être que l'on ressentait en ces années là, au sortir de la guerre,
Enfant de la ville comme beaucoup de mes petits camarades je ne connais rien de la campagne. Découvrir, les fermes et leurs animaux, les prés, les bois les horizons infinis ,les petits villages blottis au creux des vallons , tout cela nous émerveille. Nous avons l'mpression de vivre un peu la vie de nos héros de bandes dessinés.
Je ne sais pas si à cette époque c'était mieux. Je ne cherche même pas à le savoir . Je sais seulement qu'à cette époque c'était bien . Et pas seulement parce que j'avais sept ans , mais surtout parce que tout ce que nous vivions baignait dans un bouillon de liberté, de respect des autres, de services rendus.
Alors en route pour le pays d'où je viens.
La Louvesc! Le Lourdes du Vivarais avec son saint : Jean François Régis. Tout petit village mais immense basilique. à l'ombre de laquelle se trouvait la chapelle de St François Régis. On pouvait y voir une sculpture représentant la mort du saint . Cette oeuvre m'impressionnait d'autant plus que la chapelle était sombre. J'avais l'impression que les personnages étaient réels

Nous sommes en août 1946. La règlementation est inexistante ,la liberté règne , la misère aussi. Il n'y a pas de cars pour nous transporter ? Ce sera un camion , voire deux.:

 

      

Le voyage va durer toute la journée:il n'y a pas d'autoroute.
Ah quelle histoire! Deux gros camions de couleurs vertes sont là. Oui ,des camions de l'entreprise Ramaciotti.. Sur les plateaux arrière on a rangé des bancs. Deux rangées latérales le longs des ridelles, deux rangées centrales. Entre ces rangées, s'entassent les valises , la nourriture, les ustensiles divers:(je revois encore le gros basson de François Génovèse.) . Mais personne ne fait le difficile. C'est dans la joie, les plaisanteries, et un peu de pagaille que nous prenons place . Nos parents sont un peu tristes de voir partir leur progéniture, mais aucune inquiétude ne leur vient devant ce mode de transport. Trop heureux à la pensée que leur enfant va respirer le bon air, en bonne compagnie.
Voilà, les camions se mettent en branle. Lentement, lourdement, ils tournent péniblement rue Sylvestre (Francois Barbini). Derrière les ridelles , les anciens chantent les chants de la colo: Là-bas au bord de la méditerranée, C'est nous les gars saint maurontais, qui de Marseille à La Louvesc....
Bd Plombières, Rue de Lyon, La Viste...Pas encore d'autoroute à cette époque. Et nous voilà partis pour une journée de route. Le vent nous fouette le visage. Penché à la ridelle, je regarde avec étonnement les premières étendues d'herbe verte, moi le petit citadin. Je n'en avais jamais vu autant jusqu'alors.
Les "grands" annoncent les passages particuliers ou les villes traversées: le col de l'assassin (les Pennes) , Salon, Avignon, Montélimar, (ah ces nougats!) Valence, Tournon et enfin... enfin... vers 5 heures du soir l'arrivée à La Louvesc. Partis à 7h le matin ! 10h dans le meilleur des cas.Emile Pecchioli nous accueille avec sa gentillesse coutûmière. L'aventure peut commencer.
Oui, ce voyage était une sacré aventure . J'y repensais toute l'année dans ma vie quotidienne. En particulier j'adorais une chanson d'Yves Montand :les routiers . Pour moi, il ne pouvait s'agir que des camions qui 'avaient tranporté l'été passé dans ce paradis du Vivarais.
En 1947, passé Tournon,la pluie nous a accueilis dès les premiers lacets . Les couvertures sorties en urgence nous ont un temps abrités ,mais à la longue l'eau s'est infiltrée. Et au total, le souvenir qui m'en reste, c'est que tout le monde se marrait. Personnne n'a été malade. Et je me rappelle avoir érit à mes parents :"on ressemblait à des fantômes."
Amusez vous à transposer cette scène en 2013... Et vous verrez toute la différence de ce monde avec notre monde actuel . Question à 1 euro: Qui était le plus heureux ?


Le local: Nous sommes logés chez une communauté dont j'ai oublié le nom:pour nous ce sont des religieux "les frères". Le local est une école le restant de l'année .Il comporte deux étages. Au rez de chaussée la salle de classe, l'infirmerie, le bureau du Directeur. Au premier le réfectoire, la chapelle et divers logements privés dont une chambre avec une douche (j'y reviendrai).
Au deuxième sous les combles ,le dortoir. La cave aussi peut intéresser parfois ,j'y reviendrai également, plus loin. (moi du moins)

La caractéristique de ce dortoir unique était de comporter un lavabo à multiples points d'eau qui s'ouvraient tous en même temps, alimentés par un réservoir qu'il fallait remplir chaque matin.
Avant le réveil officiel, je voyais le Père Antoine passer de lit en lit pour réveiller les plus grands et c'était alors une noria de Danaïdes mâles, remplissant chaque jour ce réservoir percé d'une douzaine de trous. Etant parmi les plus jeunes j'étais bien entendu dispensé de ce travail trop dur pour moi:descendre avec un arrosoir ou un seau à remplir à la fontaine de la cour puis remonter les deux étages pour remplir le réservoir situé à hauteur d'homme. Sacrée tâche! Se débarbouiller avec cette eau glacée était à coup sûr le meilleur moyen pour se réveiller.
Les escaliers qui mènent aux étages sont en bois. Je vous laisse deviner le bruit sourd que provoque chaque déplacement du matin au soir. D'autant qu'au premier étage se trouvent la chapelle et le refectoire :Aux déplacements pour le petit déjeuner puis le déjeuner à midi et le repas du soir, s'ajoutent les nombreux passages à la chapelle:le matin pour la messe (à jeun s'il vous plait! que ce fut dur je vous assure, pour une petit ventre de 7 ans et demi!) puis pour le chapelet l'après midi avec la bénédiction du St Sacrement le dimanche et enfin la prière du soir avec tous les actes :de foi, d'espérance , de charité, contrition... et j'en oublie. .. le samedi on avait droit aux litanies à la Vierge Marie.... mère de ceci,..priez pour nous , Mère de cela...priez pour nous. Là encore le petit bonhomme a souvent eu très très sommeil pendant la prière du soir. Ce brave Père Antoine ne cessait d'en rajouter .Et parfois même, l'expression "tomber de sommeil" se vérifiait au propre . Et pourtant ...jamais il ne m'est venu à l'idée de m'en plaindre. En quelque sorte c'était le prix à payer pour les merveilleux moments de la journée .

La cour d'une vingtaine de mètres de long sur moins de 10 m de large , était entourée de grands murs qui rendaient parfois le lieu un peu étouffant . St-Agrève sera de ce point de vue une vraie délivrance. Passons rapidement sur les W.C à la turque mais dépourvus de chasses d'eau. Chaque semaine ou chaque jour, je ne sais plus, une équipe était de corvée pour le nettoyage dont la seule idée me donne encore la nausée. Et pourtant ce détail est resté anecdotique puisque c'est avec joie que je remonterai en colo jusqu'en 1950. (En 51 ce sera l'aventure St-Agrévoise qui commencera)

          

Pourtant dans cette petite cour que de parties de rires, d'enthousiasme... La jeunesse bien sûr mais pas seulement. L'ambiance surtout . Un esprit de famille de fraternité y compris avec les accrochages innérant à cette structure.

L'ambiance : Parlons en. Nous sommes au sortir de la guerre. La France a souffert physiquement et moralement . Nous les petits nous ne le ressentons pas tellement mais les grands , les adultes oui. Alors il faut de la discipline, de la rigueur et donc on va vivre pendant quelques années au rythme des chantiers de jeunesse , au rythme militaire :défilés, chant martiaux... On aime ou on n'aime pas . je ne porterai pas de jugement à ce sujet . Certains jours c'était pesant, d'autres non . Va savoir pourquoi ...Peut-être parce qu'on avait une certaine fierté à défiler dans les rues. Ce qui est bien à une époque peut ne pas l'être à une autre .
Brassens chante :
La vérité d'ailleurs change au cours des saisons
avec elle on embarque, on part, on a raison
Mais au cours du voyage elle a changé de bord.
Elle a changé de cap, on arrive on a tort.


En 1953, le Père Frescura ,dont on connait portant le sens de la discipline et le respect de la chose militaire (il était officier de réserve) supprimera ces défilés tout en conservant le lever aux couleurs.

       

Le réfectoire et les repas:

Comme je l'ai dit, le réfectoire était situé au premier étage dans une salle où s'entassaient les 60 à 70 garçons de chaque session .(on disait 1er ou 2e colo selon qu'on montait en juillet ou en août. Certains restaient les deux mois .)Pour aider les mamans qui faisaient la cuisine, on y effectuait parfois l'épluchage des pommes de terre. Image surréaliste de nos jours. Une autre planète . Outre les pommes de terre, trois souvenirs se rattachent à ce lieu.
       -Le premier est celui du premier soir de ma première colo. Premier soir sans mes parents ,j'ai 7ans . Assis au milieu de grands garçons que je ne connais pas encore, des "vieux" de 10 ou 12 ans, je ris et je trouve amusant voire formidable cette assemblée d'enfants, moi le fils unique. Au dessert est prévu, ô joie et luxe suprèmes en ces temps de disette! un gateau ,probablement payé par un bienfaiteur. J'en salive à l'avance .
Et puis soudain ! sans savoir pourquoi, je fonds en larmes. Impossible de me consoler. Sans raison,sinon celle d'être hors de chez moi, sans même le moindre avertissement ces rivières de larmes sont venues d'un coup. Au final il faut me mener à l'infirmerie où la consolation de la jeune infirmière m'aidera à m'endormir. Adieu le gâteau....Je ne le mangerai jamais . (enfin celui-ci ).
Au matin, je sens qu'on pousse ma tête je résiste, la poussée continue sans violence, mais avec insistance. Je finis par me réveiller. J'étais tombé du lit de camp pendant la nuit et remonté sur le lit de mon petit voisin qui me poussait encore endormi avec ses pieds. J'avais déjà oublié quand et pourquoi j'avais tant pleuré.

 

               

         - Le 2e souvenir est devenu un souvenir amusant mais il ne l'était pas à cette époque . A priori les règlements d'alors devait imposer de pratiquer une purge aux sels d'Epsom, une fois par mois. Les restes de la guerre sans doute, je ne sais pas. Toujours est-il qu'un matin on trouvait sur la table, dans nos bols (en métal émaillé... et souvent ébréchés)un liquide incolore qui semble être de l'eau. C'était la purge! Pour certains impossible de le boire...alors grosse colère du Père Antoine qui, pour montrer que cela passait facilement, en buvait devant nous 2 ou trois bols! Je revois encore cette image:il tient le bol d'une main et avale ça en deux secondes! Déjà convaincu qu'il fallait vite se débarrasser de ce qui était ennuyeux, j'avalais sans peine sinon avec plaisir ce laxatif, au demeurant très très léger .(heureusement!)
           - Enfin le 3e souvenir est d'ordre plus général et je continue à remercier ceux qui m'ont servi d'exemple dans ces années. Fils unique, comme je l'ai dit, enfant gâté, capricieux (logique), je tyrannisais quelque peu mes parents :cuisson des oeufs, soupe de légumes sans morceaux, etc ... je n'avais pas connu les privations de la guerre grâce à mes parents et à mon âge. Il n'en allait pas de même pour ces jeunes ados que je cotoyais: privés de tout pendant quatre ans, ils ne refusaient rien. Et moi, les voyant manger de tout j'ai fait comme eux pour avoir l'air d'être grand ... comme eux. Et c'est de là que je tiens cette facilité que j'ai, de manger de tout . Merci la colo. Merci les copains d'alors .Pauvres jeunes de maintenant....si délicats... si difficiles... ils me font plus rire que pleurer.(là c'est le papy qui parle).

Les" services ": Ah! qu'en termes galants, ces choses là sont dites , dirait Molière. Plus tard au service militaire on appellera cela les corvées . Et pourtant ...nous les appelions "les services". Et pendant mon quart de siècle de classe verte nous aurons une équipe de service et chaque semaine toute la classe sera de "service" .
De service pour nettoyer la salle de classe
De service pour nettoyer le dortoir , le réfectoire, les escaliers ... etc

Et bien ces "services", le fait de"rendre service" (j'insiste sur le mot) je l'ai appris au cours de ces colonies et plus particulièrement au cours de ces 5 colos à La Louvesc. Se savoir utile ne peut qu'être positif . On sert à quelque chose et non pas on SE sert de quelque chose. Même si cela n'était pas toujours facile.

Ainsi j'ai déjà fait allusion à ce travail du nettoyage de ces W.C turcs sans chasse d'eau. Pardonnez moi d'y revenir , mais la chose est si cocasse qu'elle méritait bien un petit arrêt. Ces Wc étaient situés au fond de la cour. Ils étaient au nombre de 4 ou 5 si je me souviens bien . (peu importe le nombre à une unité près) . Les utiliser dans la journée se faisait encore assez facilement. On voyait où l'on mettait les pieds. Mais le soir ,non seulement ces WC n'avaient pas d'eau mais en plus(ou plutôt en moins) ils étaient très très faiblement éclairés, voire pas du tout pour certains. Alors l'utilisateur n'osait pas trop s'avancer et déposait alors son besoin bien avant la cuvette. Et ainsi de suite ..;si bien que le nettoyage relevait d'un courage presque héroïque.
Je ne me souviens plus de la fréquence de ces nettoyages . Probablement tous les jours. Avec 6 équipes on devait avoir l'impression que nous faisions cela une fois par semaine . Temps héroïques, oui, mais que je ne voudrais pas recommencer contrairement à la plupart des autres moments de ces temps benis.
Un autre "service " pittoresque était plus plaisant et réservé aux plus grands accompagné d'un moniteur: c'était d'aller chercher le pain au village . C'est que nous montre la photo ci-dessous sur laquelle je peux reconnaitre deux de mes ainés de l'époque: Auguste Vigna dit Gus et René Solinas dit Néné. Des types formidables. des exemples à qui je dois beaucoup sur le plan moral.


"Corvée "ou "service" de pain à la Louvesc entre 1946 et 1950

 

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